Hamsel et Grasthel,
ou
la Passion du bon Jambon
A la périphérie de Métropolia, s'était installé le
« Piggy's Circus ». Les citadins pouvaient venir y
admirer Salomon le magnifique et sa troupe de cochons domptés. Du
cochon-clown à l'acrobate, tout était bon pour le plaisir des
spectateurs, qui, par malheur répondaient aux abonnés absents ; car
à la ville, tout le monde et pressé et personne n'a le temps pour
se divertir.
Ainsi, la pauvreté et sa bonne amie la faim, vinrent
frapper à la porte de la roulotte du grand Salomon, sa femme
Mère-truie, et leur deux enfants. Le garçon s'appelait Hamsel, et
la fille Grasthel. Une nuit, alors que le pain lui-même commençait
à manquer, le dompteur alla s'adresser à sa femme avec ces mots là
:
- Oh ma tendre porcine, qu'allons-nous devenir ? Comment
nourrir nos enfants quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes et
la troupe ? Ma dulcinée dont la sagesse est reconnue par tous, toi
seule peut m'aider à trouver la solution. Je t'en prie, prodigue moi
un de tes merveilleux conseils.
Un temps.
- Groin...
Un temps.
- Non, femme, dit Salomon. Je ne ferai pas cela !
Comment pourrai-je me résoudre à laisser nos enfants tout seuls
dans la grande ville. Ils se feraient agresser, peut-être même
violés; ils n'auraient aucune chance de survivre dans ce milieu
hostile.
Mais même les hommes aussi fort, viril, et musclé,
que Salomon ont leur faiblesse, et celle de ce dernier résidait dans
le regard vide de Mère-truie. Ainsi, il se résolut à l'abandon des
bambins.
- J'ai néanmoins pitié de ces pauvres enfants,
reconnut le grand dompteur.
Les deux petits n'avaient pas pu s'endormir tant ils
avaient faim. Ils avaient entendu ce que la grosse truie disait à
leur père. La jeune fille pleura des larmes salées et dit à son
frère :
- C'en est fait de nous.
- Du calme Grasthel, la consola Hamsel, ne t'en fais
pas, dors tranquille. Je trouverai un moyen de nous sauver.
Il cogita toute la nuit en vain. Avant même le lever
du soleil, Salomon vint réveiller les enfants, cachant avec
difficulté sa culpabilité :
- Debout, mes trésors ! Que dites-vous d'une petite
balade dans la ville ? Allez, partons gaiement.
Et
il leur donna un morceau de pain à chacun :
- Et voici le pique-nique ; ne mangez pas tout avant,
car nous n'avons rien d'autre.
Alors le petit garçon eut une idée brillante, il
émietta le pain dans sa poche.
- Embrassez Mère, ordonna le père, nous y allons.
Ils s'exécutèrent et tous trois se mirent en route.
- Hamsel,
qu'as-tu donc ? Pourquoi diable traines-tu la patte comme cela ?
demanda le père.
- C'est que
je ne veux rien manquer du paysage, répondit astucieusement
l'enfant.
En réalité, il semait des miettes tout le long du
chemin. Salomon conduisit sa progéniture jusqu'au centre de la
ville, dans le quartier des affaires, car c'est là qu'ils couraient
les moins grands risques pensait-il. Il les amena dans une petite
ruelle sombre, les fit s’asseoir sur un tapis de carton, et leur
dit :
- Reposez-vous, vous m'avez l'air exténués.
Allongez-vous, mangez votre pique-nique, et dormez ; je vais faire du
repérage et reviendrai vous rechercher dans peu de temps, je vous le
promets.
Sur ces mots, il courut prendre le premier taxi pour
retourner au cirque, pendant que les enfants obéissaient. Ils se
réveillèrent à la tombée de la nuit, et Hamsel consola sa sœur
jumelle :
- Attends que les réverbères s'allument, nous verrons
les miettes de pain que j'ai jetées ; elles nous montreront le
chemin de la roulotte.
Quand les rues s'éclairèrent, ils se mirent en route.
Mais de miette, point. Un mendiant, mourant de faim, rameutés par
l'odeur du pain sec, avait tout englouti. Ils marchèrent toute la
nuit et le jour suivant, sans trouver à rejoindre le « Piggy's
Circus ». Ils mouraient de faim, ne trouvant, dans ce
labyrinthe de buildings et d'hommes pressés, rien à se mettre sous
la dent. Ils étaient si fatigués que leur jambes ne voulaient plus
les porter. Ils se couchèrent au pied d'une poubelle et
s'endormirent.
Trois jours s'étaient passés depuis qu'ils avaient
été abandonnés. Ils continuaient à marcher, s'égarant toujours
un peu plus dans la sinistre ville. Si personne ne leur venait en
aide, ils ne tarderaient pas à mourir. A midi, une odeur familière
vint les sortir de leur lassitude. Ils puisèrent en eux les
dernières ressources pour courir après le camion d'où provenait
cette saveur qui ne leur était pas inconnue. Ils le suivirent
jusqu'au magasin où il s'arrêta. Quand ils s'approchèrent , ils
purent sentir à pleins poumons cette odeur merveilleuse d'une
nourriture rougeoyante qui leur était cependant totalement
étrangère. Ils s'approchaient toujours plus près pour mieux
apprécier le caractère des senteurs qui s'offraient à leurs
narines, si bien que leur groin humide heurta la surface vitrée. On
entendit alors une voix grondante qui sortait de la chambre froide :
- Langue, langue lèche !
Qui donc ma vitrine lèche ?
Hamsel l'ingénieux répondit :
- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant.
Et ils continuèrent à renifler. La porte tout à coup
s'ouvrit et un homme, plus gras encore que Mère-truie, sortit.
Hamsel et Grasthel eurent si peur qu'ils commencèrent à prendre la
fuite. L'homme secoua la tête et les rassura :
- Eh ! Chers enfants, qui vous a conduits ici ? Entrez,
venez chez moi ! Il ne vous sera fait aucun mal.
Il les prit tous deux par la patte et les fit entrer
dans la boutique. Sur des présentoirs étaient disposées toutes
sortes de mets inconnus à leurs pupilles mais si demandés par leurs
papilles. L'hôte leur tapota la tête en riant et déclara :
- Vous êtes ici chez vous ! Mais je vous en prie, vous
m'avez l'air affamés, mangez-donc à votre aise, tout ici est là
pour vous contenter. Je m'en vais vous préparer deux bons lits
douillets dans l'arrière boutique, ainsi quand vous vous serez
gavés, vous pourrez dormir.
Hamsel et Grasthel s'exécutèrent sur le champ.
Jambon, Saucisson, Tourne-pieds, ils mangèrent sans retenue tout ce
qui passait à portée de patte, avant d'aller se coucher la panse
bien remplie. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié du gros homme n'était qu'apparente. En
réalité c'était un vil boucher-charcutier, sans scrupule et avide
d'argent, à l’affût de viande fraîche. Son sourire chaleureux et
sa générosité n'étaient que des appâts destinés à attirer
jusque dans l'arrière boutique les pauvres affamés qui passaient
par là. Quand il en prenait un, il le gavait, l'égorgeait, le
dépeçait, le coupait en dés, et en faisait de délicieuses
boulettes de viande qu'il vendait une fortune. Car en ces temps de
crise, la bonne viande se faisait rare, et le boucher avait une
réputation de qualité et de quantité à maintenir. Et personne ne
se souciait de tous ces grouillots sans-le-sous tout juste bons à
tendre les mains vers le ciel pour parasiter l'argent des braves
travailleurs, alors autant leur trouver une dernière place dans la
société. Il n'y voyait plus très clair mais son savoir-faire sans
pareil lui permettait de sentir venir de loin la bonne viande. Quand
les deux enfants s'étaient approchés de sa demeure, il avait ri
méchamment et pensé : « Je n'avais jamais senti une telle
viande auparavant, quelle saveur ! Si je les engraisse suffisamment,
tout l'argent de la ville m'est promis. Ceux-là, je les tiens ! Ils
ne m'échapperont pas ! »
A l'aube, avant que les enfants ne soient éveillés,
il se leva. Quand il les vit qui reposaient si gentiment, avec leurs
bonnes joues toutes roses, il murmura :
- Quelle fortune je vais pouvoir amasser. Il est temps
de tester le « Gavator 6000 ».
Il attrapa Hamsel, étouffant ses cris de sa large
main, le conduisit dans la cave, l’enchaîna, et installa le
« Gavator 6000 » sur lui. La machine était une sorte de
toboggan qui transformait les aliments mis à l'entrée en bouillie
et la faisait glisser jusque dans la bouche de la victime. Le boucher
s'approcha ensuite de Grasthel, la secoua pour la réveiller et
s'écria :
- Debout, paresseuse ! Mets cette tenue que je t'ai
apportée, tu vas être le mannequin de ma nouvelle campagne de
publicité. Et ne t'avise pas de me désobéir, ou je t'égorge comme
la truie que tu es. Quant à ton frère, il suit un régime très
particulier dans la cave. Quand il sera à point, j'en ferai du bon
jambon. »
La pauvre enfant se mit à pleurer, mais cela ne lui
servit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait le
charcutier. Hamsel se faisait gaver en continu pendant que Grasthel,
rationnée, posait devant l'objectif, sans avoir le droit de voir son
frère. Tous les matins, le boucher, venait constater à quel point
s'engraissait son petit goret. Quatre semaines passèrent, le gros
homme sortit de la cave aux anges et s'adressa à la pauvre fille qui
s'occupait désormais des taches ménagères et de la vente :
- Hola ! Grasthel, tu vas bientôt avoir le plaisir de
vendre ton frère, il est parfait. Il sera le premier à passer par
l' « Egorgeator 2.0». Viens m'aider à monter cette
machine fabuleuse.
Comme le « Gavator 6000 », le boucher avait
acheté cette invention révolutionnaire au salon international de la
boucherie-charcuterie. On plaçait un être-vivant sur le tapis
roulant et il ressortait de la machine en viande hachée.
- Si seulement nous étions morts de faim dans la grande
ville, se lamenta la jeune fille. Nous serions au moins morts
ensembles.
- Cesse donc un peu de pleurer ! Dit-l'homme. Ça ne
vous sauvera pas. Prends plutôt ce tournevis et viens m'aider.
Le soir arriva. La machine était sur pied, montée
avec une précision d'orfèvre, à l'exception d'un écrou
volontairement oublié pas Grasthel qui demanda au charcutier alors
que celui-ci se félicitait du résultat :
- Il ne manque pas une pièce ici ?
- Ça m'étonnerait, tiens, répondit-il.
- Mais si, ici, regardez ! assura la jeune fille en
montrant du doigts le début du tapis roulant.
- Il semblerait bien, en effet, avoua le boucher en
s'approchant pour y voir plus clair.
Alors Grasthel lui planta le tournevis dans le derrière
en le poussant sur le tapis. Pendant que l'homme se tordait de
douleur en hurlant, elle actionna le levier qui mit la machine en
marche, et à la place du grand boucher, il sortit un très
appétissant tas de viande hachée. La petite fille se précipita
vers la porte pour aller libérer son frère quand elle se ravisa ;
il y a bien longtemps qu'elle n'avait rien avalé, elle était
affamée, et Hamsel était hors de danger, il pouvait attendre un
moment qu'elle se restaure. Ainsi Grasthel put constater que le
charcutier était beaucoup plus tendre qu'il n'y paraissait de son
vivant, si tendre qu'elle n'en laissa pas une miette. Ce met
succulent l'avait mise en appétit, Hamsel pouvait bien attendre
encore un peu. Elle vida la chambre froide et la boutique entière.
Plus un seul gramme de viande pour assouvir sa faim. Tant pis, quand
elle aurait libéré son frère, ils iraient chercher ailleurs de
quoi manger. Ainsi elle descendit jusque dans la cave.
- Nous sommes libres ! Le méchant boucher est mort !
s'écria la fillette.
A ces mots elle sauta au cou de son frère pour
l'embrasser.
- Dépêche-toi de me détacher, dit le petit garçon
avec joie.
Qu'est-ce qu'elle était bien, collée contre son
énorme ventre, qu'est-ce qu'il sentait bon ! Grasthel bavait
sans s'en apercevoir. Inconsciemment, elle se munit lentement du
tournevis qu'elle avait rangé dans sa poche, et elle le planta dans
la gorge de son frère qui s'éteint dans un cri strident.
Après avoir fini Hamsel, elle reprit ses esprits et se
mit à pleurer, se maudissant pour cet acte affreux. Puis la faim
commença à revenir et peu à peu, la fillette oublia sa culpabilité
et se demanda où elle pourrait retrouver de cette viande qui
elle-seule savait la satisfaire. Elle utilisa son groin pour la
guider et sortit de la ville. L'odeur du cochon l'avait ramenée tout
droit chez elle, au « Piggy's Circus ». Salomon le
magnifique fut le premier à la voir. Elle était maintenant plus
grasse encore que Mère-truie, et son père, qui avait une préférence
pour le femmes de forte corpulence, en tomba fou amoureux, à tel
point qu'il lui demanda sur le champ sa main. Grasthel accepta à la
condition d'avoir Mère-Truie en cadeau de mariage.
La cérémonie fut parfaite, la marieé dans sa robe
était à croquer, mais ce fut Mère-Truie qui écopa de ce sort. Les
jeunes mariés abandonnèrent le cirque et se lancèrent dans
l'élevage de cochon, commençant par la troupe, puis s'agrandissant.
Ils vécurent heureux tous les deux. Du moins jusqu'à ce que
Grasthel meure d'une maladie inconnue, qui se propagea dans le monde
avec la viande porcine.
FIN
Bravo Paul...du style, des références intéressantes, c'est drôle...je suis fan...et j'attends l'animation
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